Louis Delgrès (1766-1802)
Louis Delgrès né à Saint-Pierre (Martinique) est le fils d’une Afro-descendante et d’un procureur du roi.
Recevant une bonne instruction, il vécut à la Martinique, puis à Tobago (occupée par les Français en 1781) lorsque son père y fut nommé directeur des Domaines.
Enrôlé à dix-sept ans dans la milice de la Martinique, il y est nommé sergent en 1791, après la mort de son père.
Favorable à la Révolution, il s’exile à la Dominique en 1791 lorsque les royalistes prennent le contrôle de son île natale.
En 1792, il est élu lieutenant.
Capturé par les Anglais en février 1794, il est retenu prisonnier, mais rapatrié en mai à Saint-Malo.
Envoyé en 1795 en Guadeloupe, puis à Sainte-Lucie pour combattre les Anglais. Il y est grièvement blessé le 22 avril.
Pour avoir pris le Mont Rabot, à la suite de violents combats, et y avoir hissé le drapeau tricolore, il est nommé capitaine le 25 juin 1795.
À Saint-Vincent, pour combattre les Anglais à la tête d’un commando parti de Guadeloupe, il fait alliance avec les Caraïbes noirs de Joseph Chatoyer , les Garifunas (population issue d’Afro-descendants et d’Amérindiens).
Repris par l’ennemi le 16 juin 1796, il est de nouveau déporté en Angleterre (Porchester) et ne bénéficie d’un échange qu’en septembre 1797.
Il séjourne au Havre, à Rouen, puis à l’île d’Aix, en compagnie de Magloire Pélage.
Il revient en Guadeloupe en 1799, après une permission à Paris.
Le 27 juillet, il est nommé commandant par intérim de l’arrondissement de Basse-Terre.
En 1801, après la destitution du capitaine général Lacrosse, Delgrès rejoint les officiers rebelles.
À Basse-Terre, il fait ouvrir le feu sur les bateaux portant les troupes du général Richepance, envoyés par Bonaparte pour rétablir l’esclavage avec la collaboration d’Afro-descendants félons commandés par Magloire Pélage.
Le débarquement des troupes esclavagistes donne lieu à de très violents combats à Basse-Terre et dans les environs.
Delgrès est à l’origine d’une célèbre proclamation, rédigée avec un créole de la Martinique placé sous ses ordres, l’adjudant général Monnereau et affichée le 10 mai 1802.
Réfugié avec Joseph Ignace, au fort de Basse-Terre (aujourd’hui Fort Delgrès), il est cerné par les troupes de Richepance, qu’il nargue en jouant du violon sur les remparts.
Delgrès, refusant de transformer le conflit en guerre de couleurs et protégeant la population de Basse-Terre, réussit le 22 mai 1802 une sortie avec Ignace qui, encerclé à Baimbridge, se suicide.
Le 28 mai 1802, cerné à l’habitation d’Anglemont, près de Matouba, et refusant de se rendre, Louis Delgrès se fait sauter avec 300 de ses compagnons.
Les survivants, dont l’épouse de Delgrès, Rose, dite Toto, qui n’avait pu suivre son mari, s’étant cassé la jambe, sont massacrés au cours d’une effroyable répression.
L’adjudant général Monnereau invité, du fait qu’il n’était pas un Afro-descendant, à renier le texte rédigé avec Delgrès, refusera et sera pendu.
Malgré la résistance sporadique de quelques « coureurs des bois », l’esclavage fut rétabli à la Guadeloupe pendant 46 ans, jusqu’à son abolition définitive en 1848.
Bande annonce du film 1802 l’épopée guadeloupéenne de Christian Lara (2005) avec Luc Saint-Éloy dans le rôle de Delgrès
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Proclamation du 10 mai 1802
À l’univers entier
Le dernier cri de l’innocence et du désespoir
C’est dans les plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie qu’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir se voit obligée de lever la voix vers la postérité, pour lui faire connaître lorsqu’elle aura disparu, son innocence et ses malheurs.
Victime de quelques individus altérés de sang, qui ont osé tromper le gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèles à la patrie, se voit enveloppée dans une proscription méditée par l’auteur de tous ses maux. Le général Richepance, dont nous ne savons pas l’étendue des pouvoirs, puisqu’il ne s’annonce que comme général d’armée, ne nous a encore fait connaître son arrivée que par une proclamation dont les expressions sont si bien mesurées, que, lors même qu’il promet protection, il pourrait nous donner la mort, sans s’écarter des termes dont il se sert. À ce style, nous avons reconnu l’influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle… Oui, nous aimons à croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide, qui sait employer également les poignards et la calomnie.
Quels sont les coups d’autorité dont on nous menace ? Veut-on diriger contre nous les baïonnettes de ces braves militaires, dont nous aimions à calculer le moment de l’arrivée, et qui naguère ne les dirigeaient que contre les ennemis de la République ? Ah ! Plutôt, si nous en croyons les coups d’autorité déjà frappés au Port-de-la -Liberté, le système d’une mort lente dans les cachots continue à être suivi. Eh bien ! Nous choisissons de mourir plus promptement.
Osons le dire, les maximes de la tyrannie les plus atroces sont surpassées aujourd’hui. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d’affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d’hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage.
Et vous, Premier consul de la république, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut -il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d’où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence, mais il ne sera plus temps et des pervers auront déjà profité des calomnies qu’ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.
Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l’épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace, – à moins qu’on veuille vous faire le crime de n’avoir pas dirigé vos armes contre nous, – vous avez entendu les motifs qui ont excité notre indignation. La résistance à l’oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l’humanité : nous ne la souillerons pas par l’ombre même du crime. Oui, nous sommes résolus à nous tenir sur une juste défensive ; mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs. Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés, et d’employer tous nos moyens à les faire respecter par tous. Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits.
Le Commandement de la Basse-Terre : Louis DELGRÈS