Le Masque de Fer
Depuis une première mention dans une gazette de 1687, l’histoire de l’homme au masque de fer est l’une des énigmes les plus célèbres de l’histoire de France. Outre plusieurs dizaines d’ouvrages consacrés à cette affaire, le masque de fer a été popularisé par une douzaine de romans dont le plus connu est Le vicomte de Bragelonne d’Alexandre Dumas, lequel a donné lieu à de nombreuses adaptations au cinéma.
En laissant de côté les hypothèses romanesques, dont la plus récurrente (celle de Dumas) évoque un frère jumeau caché de Louis XIV, plusieurs historiens sérieux admettent aujourd’hui les témoignages de l’époque qui signalent que Le Masque de Fer, mort à la Bastille en 1703, après 34 ans de détention dans diverses prisons d’État à partir de 1669 (date de son apparition) était un homme à « la peau un peu brune », aux « cheveux noirs crépés » et au ton de voix « intéressant » (particulier), comme l’atteste son médecin.
Un document de Bénigne Dauvergne de Saint-Mars, geôlier et ami du masque de fer, évoque par ailleurs pour le désigner, lui et un autre prisonnier (La Rivière) deux « merles » (lettre à l’abbé d’Estrade, ambassadeur de France à Turin, du 25 juin 1681).
lignes 4-6 : J’ « aurai en garde [à Exilles] deux merles que j’ai ici [à Pignerol] lesquels n’ont point d’autres noms que MM. de la tour d’en bas. »
Le château de Palteau (à Armeau dans l’Yonne) où Le Masque de fer, venant de la forteresse de Pignerol, et en route pour la Bastille, s’arrêta avec son geôlier (qui était propriétaire du domaine) à l’automne 1698 pour y passer la nuit.
Le Masque de Fer était un prisonnier dont on avait intérêt à ne montrer ni le visage ni les mains (gantées même au mois d’août) et que son geôlier, Saint-Mars, traitait avec beaucoup d’égards. Il était l’objet des plus grandes attentions de Louvois, ministre de la Guerre de Louis XIV et par ailleurs cosignataire du Code noir.
Les ordres étaient que toute personne qui lui adresserait la parole soit exécutée sur le champ.
C’est Saint-Mars lui-même qui s’occupait de faire manger son prisonnier.
Bénigne Dauvergne de Saint-Mars (1626-1708) l’officier de carrière qui garda et donna personnellement à manger au Masque de Fer pendant 34 ans : à Pignerol (Piémont, Italie) de 1669 à 1681, à Exilles (Piémont, Italie) de 1681 à 1687, à l’île Sainte-Marguerite (golfe de Cannes) de 1687 à 1698, enfin à la Bastille de 1698 à 1703.
Le fort de l’Ile Sainte-Marguerite qui servit de prison au Masque de Fer
Parmi les hypothèses possibles :
1. Le Masque de Fer était un nain africain, offert par le duc de Beaufort et favori de la reine Marie-Thérèse, qui lui aurait obtenu la vie sauve après la naissance d’une petite fille « un peu moresque » en novembre 1664.
La forteresse d’Exilles où fut détenu le Masque de Fer.
L’hypothèse de la reine engrossée par un nain africain qui aurait été de ses familiers a été matière à rumeur, mais elle est difficile à soutenir.
D’abord parce qu’aucune trace archivistique d’un nain africain dans l’entourage de la Reine n’a été trouvée.
Le seul nain mentionné à cette époque à la cour est victime d’une noyade en tentant de traverser la Seine à cheval au Pecq le 13 juillet 1665. Il pourrait bien s’agir d’une exécution. Non pas parce que le nain était coupable, mais parce qu’il était à l’origine de la rumeur.
Ce qui est troublant, c’est que le même jour, Louis XIV, jusque là victime de crises d’angoisse qui lui occasionnaient des « tournoiements de tête », est miraculeusement soulagé (journal de son médecin Dangeau).
Or ces crises, dont Dangeau nous décrit les symptômes -« des allarmes et des appréhensions si terribles et si considérables qu’il na jamais eu ny repos ny satisfaction » – ont commencé en janvier 1665, c’est à dire dans les jours qui ont suivi la mort de la princesse Marie-Anne, dont il est attesté que les traits rappelaient ceux d’une mauresque, mais aussi au moment où la rumeur d’une infidélité de la Reine avec un nain de la cour a commencé à circuler.
Le manuscrit du médecin de Louis XIV attestant qu’il est l’objet de crises d’angoisse de janvier à mi-juillet 1665.
2. Le Masque de Fer était un jeune « Maure » au service du duc de Beaufort (le cousin du roi) et ce Maure aurait assisté à l’assassinat de son protecteur. Sa couleur de peau justifie qu’on ait fini par lui mettre un masque (après qu’il eut fait des confidences à Pignerol). C’était un domestique du duc de Beaufort : l’incarcération de d’Eustache Danger, futur prisonnier au masque de fer, correspond, la plupart des historiens s’accordent sur ce point, à la mort de Beaufort. Une mort imputée aux Turcs, mais qui était sans nul doute un assassinat.
3. La troisième hypothèse est la plus séduisante : Le Masque de fer serait un fils caché (né vers 1654) que le roi aurait eu avec une Africaine ou une Afro-descendante lorsqu’il était très jeune (étant né en septembre 1638, Louis XIV aurait pu l’engendrer alors qu’il avait 15 ans) . cette hypothèse, développée par Serge Aroles en 2014 suite à la découverte de documents probants dans des fonds d’archives jusqu’alors inexploités, est compatible avec la précédente : le fils du roi aurait été confié au duc de Beaufort et, de ce fait, il aurait assisté à sa mort.
On constate qu’à partir de 1665 le duc de Beaufort apparaît dans la comptabilité concernant les sommes accordées par le roi aux enfants royaux. On pourrait en conclure que c’est à partir de cette date que Beaufort s’est vu confier le fils du roi (son cousin). Officiellement cet enfant – d’environ 11 ans – aurait été ramené des campagnes auxquelles Beaufort aurait participé contre les barbaresques sur les côtes du Maghreb en 1662-1662.
En 1669, le duc de Beaufort disparaît en Crète dans des conditions plus que mystérieuses et un jeune homme âgé d’environ 15 ans débarque à Dunkerque sous le nom d’Eustache Danger. Des dispositions sont prises pour le conduire (sous escorte légère) dans la prison d’État de Pignerol. Ce prisonnier – futur homme au masque de fer – sait des choses et il ne doit pas parler. Son geôlier, Saint-Mars, cherche à lui faire peur en le prévenant qu’il sera exécuté sommairement s’il bavarde. Or il bavardera. Et ce seront ceux à qui il fera des confidences qui mourront. Une fois ces confidences faites, le mystérieux prisonnier sera soustrait aux regards et on ne lui donnera même plus de nom.
Il y aurait donc eu deux raisons de le mettre à l’écart : 1. Il a été témoin de l’assassinat de Beaufort. 2. Le geôlier appendra plus tard que Beaufort lui a dit qu’il était le fils du roi. Dès lors, sa couleur de peau devient embarrassante. La rumeur de métissage dans la famille royale a valu à un autre enfant illégitime de Louis XIV – celle qu’on appellera la Mauresse de Moret – d’être conduite, l’été 1665, à Moret par Bontemps, l’homme de confiance du monarque.
Le masque de fer sait d’une part qu’il est le fils du roi, d’autre part que le roi a fait assassiner le duc de Beaufort (protecteur de l’adolescent et cousin de Louis XIV). Nul doute qu’un témoin aussi gênant aurait été éliminé s’il n’était de sang royal.
Louis XIV, sur ordre de sa mère, fut éduqué sexuellement dès l’âge de 14 ans (à partir de 1652) par Catherine Bellière, duchesse de Beauvais, dite Cateau la Borgnesse (alors âgée de 38 ans).
Or Catherine Bellière a pu engager des sous-traitantes. Tout laisse penser que le jeune Louis XIV a eu, dès son plus jeune âge, des relations sexuelles avec des Africaines et des Afro-descendantes.
Un manuscrit de Michelet évoque explicitement une « négresse » mise sexuellement à la disposition du roi en 1661 (peu avant la naissance du Dauphin) par sa mère, Anne d’Autriche, pour le détourner de Louis de La Vallière, dont il était amoureux.
« elle lui avait passé sa vieille femme de chambre, une négresse et autres. Elle lui en passa par Madame… »
Si -à en croire l’historien Michelet – la reine met à la disposition du roi des « négresses » pour lui changer les idées quand il a 23 ans, c’est qu’elle avait l’habitude de le faire. Peut-être même savait-elle que le roi avait un goût particulier pour les femmes africaines ou afro-descendantes.
Il est d’ailleurs assez piquant de constater qu’en 1667, Louis XIV, à l’occasion de la Saint-Valentin, se travestit pour danser dans le ballet d’une pièce de Molière en « maure de qualité » et demande à sa maîtresse – toujours Mlle de La Vallière – de sa travestir en « mauresse ».
Il n’est guère étonnant que le fantasme nègre du roi lui ait valu une descendance, dont une ou deux filles mises de ce fait au couvent. S’il y a eu des filles, il y a pu aussi y avoir des fils, en tout cas au moins un : le Masque de fer.
Un fils métis du roi était beaucoup plus difficile à cacher qu’une fille. Le mettre au monastère ? Les religieux étaient beaucoup moins discrets que les femmes et ils laissaient beaucoup de traces écrites. Mieux valait placer le garçon comme « valet » dans la famille royale, ce qui laissait la possibilité de le voir de temps en temps. Le duc de Beaufort, qui avait traîné ses bottes en Méditerranée, était un parfait alibi.
Dans cette hypothèse, le Masque de fer, né vers 1654, aurait été enfermé dès l’âge de 15 ans et aurait passé toute sa vie en détention – du fait de sa couleur de peau, de son origine royale (il ressemblait peut-être au roi) et de ce qu’il savait sur la mort du duc de Beaufort – pour mourir à la Bastille à 49 ans et être enterré sous un nom d’emprunt.
4 réactions au sujet de « Le Masque de Fer »
lisez le livre de Mr Claude Amato, vous trouverez la réponse tant attendue depuis tous ces siècles !
Nabo a probablement été Eustache Danger, mort à Pignerol, après un événement survenu en juillet 1679, comme le laisse entendre une lettre de Louvois datée du 12 mars 1680. Il n’a pu être le Masque de fer qui a fait son apparition en 1687 sur l’île Sainte-Marguerite.
Les reproductions de documents (lettre de Saint-Mars en particulier) sont les bienvenues.
Des trois hypothèses je crois que la dernière a le plus de sens. Car j’ai d’abord pensé à Nabo aussi qui disparu si mystérieusement mais il était un nain, il me semble que cela aurait été mentionné dans la description du masque de fer. Et même si la reine aurait pu obtenir sa vie sauve, je ne crois pas que le roi lui aurait donné un traitement particulier avec des égards et des attentions puisqu’il n’avait aucun lien comme admettons, être le fils de la reine mais il aurait été plutôt son amant donc rival du roi.
Le serviteur aurait probablement aussi été traité avec très peu d’égards.
Le fils du roi pourrait avoir eu ces égards (malgré que le roi aurait dû le traiter bien mieux puisqu’il était son fils évidemment) N’aurait-il pas pu le mettre dans un monastère comme ses (probablement) demi-soeurs ? Ou le faire adopter sous une autre identité dans une famille riche? Mais le roi pensait probablement à son honneur plus qu’à son fils, si c’était son fils.
Mais les gants et le masque ont du sens si l’homme au masque de fer avait en effet la peau foncée. C’est une hypothèse que je n’avais jamais entendue avant. Voilà pourquoi j’aime votre site, vous parlez des faits occultés.
Bravo ! l’Histoire doit être mise au clair, rien ne pourra se dissimuler, c’est heureux même avec le temps, merci aux Historiens