L’abbé Raynal (1713-1796)

L’abbé Raynal (1713-1796)

Guillaume-Thomas Raynal, dit l’abbé Raynal, curé de Saint-Sulpice à Paris, et figure active des milieux littéraires parisiens de l’époque des Lumières, joua un rôle dans la contestation du bien-fondé de l’esclavage et du colonialisme en dirigeant un ouvrage collectif, publié anonymement pour la première fois en 1770, qui eut un grand succès et fut édité 30 fois.

 

Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes plus communément appelé Histoire des deux Indes.

Pour la troisième édition, en 1781, qui contenait des attaques virulentes contre la monarchie, l’anonymat fut pratiquement levé par la publication d’un portrait, en page de garde, de l’abbé Raynal qui dut prendre la fuite et se réfugier en Suisse, l’ouvrage ayant été condamné au bûcher. Il fut réédité en Suisse sous le nom de Guillaume-Thomas Raynal

Extrait, concernant l’esclavage, de l’Histoire des deux Indes (1770).

Il s’agit d’un dialogue imaginaire destiné à contrecarrer les arguments traditionnels du 18e siècle pour légitimer l’esclavage. Ce texte – qui n’est pas exempt de préjugés racistes mais qui condamne la mise en esclavage des Africains – est généralement attribué à Diderot.

– Mais les nègres sont une espèce d’hommes nés pour l’esclavage. Ils sont bornés, fourbes, méchants ; ils conviennent eux-mêmes de la supériorité de notre intelligence, et reconnaissent presque la justice de notre empire.

– Les nègres sont bornés, parce que l’esclavage brise tous les ressorts de l’âme. Ils sont méchants, pas assez avec vous. Ils sont fourbes, parce qu’on ne doit pas la vérité à ses tyrans. Ils reconnaissent la supériorité de notre esprit, parce que nous avons perpétué leur ignorance ; la justice de notre empire, parce que nous avons abusé de leur faiblesse. Dans l’impossibilité de maintenir notre supériorité par la force, une criminelle politique s’est rejetée sur la ruse. Vous êtes presque parvenus à leur persuader qu’ils étaient une espèce singulière, née pour l’abjection et la dépendance, pour le travail et le châtiment. Vous n’avez rien négligé pour dégrader ces malheureux, et vous leur reprochez ensuite d’être vils.

– Mais ces nègres étaient nés esclaves.

– A qui, barbares, ferez-vous croire qu’un homme peut-être la propriété d’un souverain ; un fils, la propriété d’un père ; une femme, la propriété d’un mari ; un domestique, la propriété d’un maître ; un nègre, la propriété d’un colon ? Etre superbe et dédaigneux qui méconnais tes frères, ne verras-tu jamais que ce mépris rejaillit sur toi ? […]

– Mais l’esclave a voulu se vendre. S’il s’appartient à lui-même, il a le droit de disposer de lui. S’il est maître de sa vie, pourquoi ne le serait-il pas de sa liberté ? C’est à lui à se bien apprécier. C’est à lui à stipuler ce qu’il croit valoir. Celui dont il aura reçu le prix convenu l’aura légitimement acquis.

– L’homme n’a pas le droit de se vendre, parce qu’il n’a pas celui d’accéder à tout ce qu’un maître injuste, violent, dépravé pourrait exiger de lui. Il appartient à son premier maître, Dieu, dont il n’est jamais affranchi. Celui qui se vend fait avec son acquéreur un pacte illusoire : car il perd la valeur de lui-même. Au moment qu’il la touche, lui et son argent rentrent dans la possession de celui qui l’achète. Que possède celui qui a renoncé à toute possession ? Que peut avoir à soi, celui qui s’est soumis à ne rien avoir ? Pas même de la vertu, pas même de l’honnêteté, pas même une volonté. Celui qui s’est réduit à la condition d’une arme meurtrière, est un fou et non pas un esclave. L’homme peut vendre sa vie, comme le soldat ; mais il n’en peut consentir l’abus, comme l’esclave : et c’est la différence de ces deux états.

 

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